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Patrimoine et réalité augmentée : retour d’expérience



Rappelez vous, en 2007, Apple lançait l’iPhone et entraîna avec lui une révolution des usages du téléphone portable et par conséquent, entama une profonde mutation de l’industrie du service internet.


Avec l’iPhone et la généralisation de l’accès internet haut débit pour mobile, il devenait possible de tout faire, depuis n’importe où. Par conséquent, la géolocalisation de l’utilisateur devenait un enjeu majeur des services internet mobiles. Les sociétés de développement informatique et de marketing ne cessent d’innover et de créer de nouvelles applications, plus ou moins utiles, poussant toujours plus loin les limites de ces appareils, qui, eux-même ne cessent d’évoluer.


Alors, que pouvez-vous imaginer avec un appareil qui tient dans la poche, qui possède une puissance considérable, qui peut savoir où vous êtes grâce au GPS intégré et à la géolocalisation, qui possède une caméra puissante, voir maintenant deux caméras, un ou deux écrans HD, qui reconnaît le nord, sait où il se trouve dans l’espace et est capable d’analyser votre mouvement ?


L’idée de transformer le smartphone, puis son cousin, la tablette tactile, en fenêtre vers le passé a alors traversé plusieurs esprits. Des initiatives allaient voir le jour. Les châteaux-fort pouvaient alors retrouver leurs formes moyenâgeuses, les arènes romaines découvraient leurs fastes d’autrefois, des quartiers entiers rasés par les développements successifs reprenaient leurs formes premières. De nouveaux services touristiques de valorisation du patrimoine pouvaient être tentés.


L’industrie touristique européenne a sans doute été la première à comprendre les potentialités de cette révolution. Destination privilégiée du tourisme culturel, ayant les moyens financiers suffisants et maîtrisant les technologiques nécessaires à son émergence, l’Europe s’est distinguée dès 2008, soit seulement un an après l’apparition de l’iphone. En France notamment, des expériences ont été tentées. Plusieurs solutions, aucune vraiment satisfaisante, ont été proposées. On peut par exemple citer cette expérience en Pays de Brocéliande où on vous proposait d’emprunter un smartphone et une sorte d’antenne géante à l’office de tourisme locale pour voir de la réalité augmentée. Une bonne idée cette application, ludique, originale, mais dont le dispositif était trop lourd… Mais il faut des premiers pour avancer. Si l’exploit technique et la surprise pouvait suffire alors à épater le touriste, l’évolution très rapide des technologies allait rendre trop vite obsolète ces services.


De 2009 à 2013, j’ai tenté trois aventures majeures au sein de l’agence Biplan  :


Ces trois projets ont pour ambition commune de montrer, via les smartphones et tablettes grand publique, des réalités disparues.




Ainsi, c’est en 2009, soit seulement deux ans après l’arrivée de l’iphone, que nous avons souhaité tenter notre propre expérience.Le chantier ambitieux : rebâtir – virtuellement – le château-fort de Cherbourg. Ainsi, à l’aide de leur smartphone, les visiteurs de la ville pourraient redécouvrir le donjon, les douves, les portes et les tours tous disparus. Cependant, au défit technologique évidant de ce projet, d’autres, plus inattendus, nous attendaient et c’est seulement en 2011 que le projet vit effectivement le jour.


L’année suivante, nous allions permettre à la ville d’Equeurdreville-Hainneville de commémorer, à sa manière, le centième anniversaire de la tragédie du Titanic, avec un ambitieux projet culturel, touristique et pédagogique autour de la thématique des voyages transatlantiques. En complément d’une exposition permanente en extérieur qui s’étend sur près de trois kilomètres en bord de mer, le projet « Le Grand Départ » offre la possibilité aux visiteurs d’accéder à un contenu d’une centaine de vidéos souvent exclusives et leur permet d’être immergés dans des scènes panoramiques du passé. De plus, ce projet combine un accès aux contenus grâce à la NFC (Non field Communication) d’une part et adapte ses contenus pour les publics non et mal-voyants.


Enfin, en 2013, les plages du Débarquement et le port artificiel d’Arromanches allaient nous permettre de développer de nouvelles technologies et d’innover en combinant dans une seule application une multitude d’expériences à destination de tous les publics. Ainsi, outre la possibilité de revoir le port d’Arromanches depuis la côte tel qu’il existant en 1944, l’application ARROMANCHES 1944 crée une nouvelle forme de récit du Débarquement à Juno Beach, innove en animant le port, permet de transformer le smartphone en console d’avion pour survoler le port, le tout à destination des visiteurs francophones, anglophones et germanophones d’une part, et des publics handicapés, dont les non et mal-voyants, les sourds et malentendants d’autre part.


Signalons que les applications de Cherbourg et d’Arromanches ont été soutenues par le Ministère de la Culture et de la Communication au titre des nouveaux services culturels innovants.


De ces trois expériences de valorisation du patrimoine culturel et architectural grâce à la réalité augmentée, un point commun : l’inquiétude d’applications qui viennent en concurrence soit avec l’offre des musées locaux, soit avec les guides.


En effet, quel est l’avenir des guides si des applications allaient donner à voir ce qu’eux-même ne peuvent montrer ? D’autant que des applications sont, par définition, disponibles 24h/24, qu’elles peuvent, potentiellement, s’adresser aux visiteurs dans toutes les langues et sont, dans le cas des trois applications précitées, être gratuites quand il faut payer pour suivre les visites guidées. De plus, si des applications permettent d’accéder à des contenus riches, donner à voir ce qui n’existe plus, faire vivre de nouvelles expériences, le tout de façon individualisé et interactive, ne sont-elles pas un danger pour les musées ?


Si, en 2009, les craintes étaient encore largement partagées, du fait de la très grande nouveauté des outils, elles restent étonnamment encore présentes aujourd’hui. Pourtant, rien ne remplacera la chaleur, l’humour, la réactivité et la passion d’un guide ni la richesse d’un musée.




C’est encore par la concertation et la pédagogie que l’on peut surmonter ces craintes.

La concertation tout d’abord, avec les acteurs du territoire. Une application sur le port d’Arromanches n’a de sens que si nous la construisons avec le Musée du Débarquement d’Arromanches et les autres acteurs du territoire. Si l’écriture du cahier des charges peut alors prendre beaucoup de temps, le résultat n’en sera pas moins meilleurs. Qui est le mieux à même de connaître les attentes des visiteurs que les acteurs locaux du tourisme ? Comment peut-on réaliser une application qui permettra de donner à voir ce qui n’est pas visible et inciter le touriste à pousser les portes du Musée ? Si nous parlons facilement de « musée hors les murs », il n’en demeure pas mois que l’application doit-être un complément de l’offre locale. Elle doit être un atout complémentaire d’attractivité du territoire, en s’adressant à de nouveaux publics, en permettant de faire le lien entre plusieurs sites d’un même territoire, en se positionnant comme un nouvel outil de marketing.


Ainsi, une application de réalité augmentée s’adressera peut-être plus facilement à un jeune publique. L’adaptation des contenus pour les personnes en situation de handicapes permet au territoire de s’adresser à des publics souvent oubliés. Elle sera pertinente si elle permet de faire découvrir au visiteur d’autres lieux qu’il n’aurait pas visité, et ainsi à élargir son temps de visite. Voir, de l’inciter à se rendre dans d’autres lieux, d’autres musées. C’est ainsi que nous avons conçu l’application d’Arromanches, qui, si elle concentre les vues en réalité augmentée face au Musée d’Arromanches, oblige le visiteur à se rendre dans d’autres lieux de la côte pour découvrir toutes les fonctionnalités de l’application, jusqu’à Juno Beach, à quinze kilomètres. En complément, nous avons imaginé un « jeu » qui transforme le smartphone en console de pilotage d’un avion qui permet de survoler le port d’Arromanches pour que les enfants puissent jouer le temps du parcours en voiture.


La réalité augmentée permet également de refaire vivre des événements de façon plus interactive, plus ludique. Ainsi, vos visiteurs vont se retrouver face au Titanic, prêt à embarquer. Les touristes vont se retrouver au centre de la guerre, sur le lieu même où les alliés ont débarqué.


A Cherbourg, le jour de l’inauguration, tous les guides étaient présents, ravis de pouvoir enfin montrer ce qui, jusqu’à présent, était peu visible. Les visites guidées sont aujourd’hui enrichies avec des tablettes mises à disposition du public. Elles rencontrent toujours un franc succès et celles ciblant la thématique du moyen-âge accueillent des groupes toujours plus nombreux. En effet, la réalisation de l’application sur le château-fort de Cherbourg a élargi le public pour cette période de l’histoire locale. Bien sûr, en 2009, pour cette première, il avait fallu faire des concessions. L’application restait basique dans ses fonctionnalités. Elle avait été avant tout pensée pour servir de complément aux visites guidées. Aujourd’hui, un peu partout en France (et ailleurs), ce type de services mobiles se multiplie. Les cités veulent redonner vie à leur passé pour valoriser leurs racines. Afin que ces services trouvent leur public, nous devons donc encore les enrichir. Il est devenu nécessaire de dépasser la simple possibilité de voir pour procurer au visiteur un plaisir, quel qu’il soit : plaisir d’apprendre, plaisir de jouer, plaisir d’être diverti, plaisir d’une promenade en famille et d’occuper les enfants. Ainsi, couplée à de services pour les personnes en situation de handicap par exemple, l’application peut devenir un formidable outil d’intégration et d’accès aux savoirs pour tous.


De plus, la réalisation d’une application de réalité augmentée peut également être l’occasion de mobiliser des fonds pour réaliser des recherches archéologiques et historiques et de mettre avantageusement en valeur ces connaissances auprès du public. La réalité augmentée n’est pas une justification, mais une démonstration, un outil puissant de diffusion auprès du plus grand nombre de connaissances appartenant à des disciplines souvent jugées comme non prioritaires. Les sciences dites « molle » retrouvent voix au chapitre face aux sciences « dures ». Mieux, la réalité augmentée, appliquée au patrimoine, réconcilie ces deux sciences où la première apporte le contenu au développement informatique de l’autre. C’est, en quelque sorte, la réunion du geek féru de technologies et de jeux vidéos et de l’artiste passionné d’histoire et de l’art.


Enfin, au delà de la mise en valeur de la recherche sous de nouvelles formes, la réalité augmentée peut devenir un puissant vecteur pédagogique. La représentation de formes disparues, la mise en vie de ruines, l’évocation de l’évolution d’un château, transforment en réalité palpable l’Histoire souvent lointaine. Si autrefois ces modélisations étaient uniquement destinées à être diffusées sur des écrans fixes, dissociant ainsi l’Histoire des lieux et des objets qui nous entourent, leur adaptation à des écrans mobiles et géolocalisés, ouvrent de nouveaux horizons et de nouvelles possibilités. A l’heure où on croit avoir tout vu à la télévision, au cinéma ou sur Internet, la réalité augmentée réinsère les récits de l’Histoire dans notre quotidien.


Soudain, ici, les romains retrouvent une vie sur les côtes de la Manche, bien loin de leur existence méditerranéenne. Là, ce château magnifique daté de la Renaissance retrouve ses formes moyenâgeuses, avec son Donjon, ses hauts remparts, ses douves. Quant à ces rues du centre-ville historique, elles retrouvent leur fonction première…


Ainsi, l’Histoire devient palpable, proche. Mieux, nos ancêtres retrouvent leur vie locale, ici, et pas ailleurs.

Avec les améliorations à venir, la réalité augmentée s’animera de personnages, les vues seront encore plus réalistes, le visiteur pourra interagir avec son environnement, mi-réel, mi-virtuel. En attendant, s’il ne faut pas tout attendre de la réalité augmentée, elle peut, nous l’avons vu, être un complément de visites, en offrant un mode de lecture de l’histoire locale différent et susciter ainsi de nouvelles envies.

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